Loi Simplification

Bruno Le Maire veut s’attaquer à "ce qui pourrit la vie des chefs d’entreprise"

Le 24/01/2024
par Julie Clessienne
Multiplication des normes et des procédures, manque de réactivité de l’administration, gestion de la paperasse… Les entrepreneurs – patrons de TPE et micro-entreprises en tête – en ont ras le bol et l’ont fait savoir lors de la consultation publique lancée par le ministère de l’Économie ces dernières semaines. Comment le gouvernement va s’emparer de leurs 5.500 propositions ? Et surtout quand seront-elles concrétisées ?
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Ouverte en fin d'année dernière, la consultation publique sur la simplification a rencontré un franc succès, notamment auprès des dirigeants de TPE et PME : Bercy a récolté la bagatelle de 5.500 propositions, issues de 30.000 participations.

Parallèlement, 75 fédérations professionnelles ont fait remonter environ 1.300 propositions supplémentaires auprès du ministère de l'Economie et une quarantaine de réunions publiques ont été organisées sur le terrain.

Constat : un vaste sentiment d’injustice sociale et un véritable gâchis économique, selon les termes mêmes du ministère. Pour preuve : les complexités administratives coûteraient "3% du PIB", 60 milliards par an, selon leurs estimations !

Bruno Le Maire compte bien s’attaquer "à ce qui pourrit la vie des chefs d’entreprise" en 2024 en leur proposant des mesures concrètes et ambitieuses, très rapidement… Car la grogne monte, y compris dans le secteur agricole qui pourrait également bénéficier au passage de ce vaste chantier de décomplexification.

La construction d’un "agenda citoyen"

Pour exploiter au mieux ces milliers de propositions, le ministère de l’Économie, aidé par make.org à l'origine de la mise en oeuvre de cette consultation publique sur sa plateforme, s’est d’abord attelé à faire émerger les 1.000 propositions ayant récolté le plus large consensus (plus de 75% des votes) mais aussi les 500 les plus controversées, elles aussi représentatives de l’état d’esprit des entrepreneurs français.

Toutes s’inscriront dans un "agenda citoyen", sorte de feuille de route des actions à mettre en œuvre pour simplifier le quotidien des chefs d’entreprise et limiter les "irritants".

Priorité : simplifier les démarches et les procédures

Sans grande surprise, les participants ont placé la simplification des démarches et procédures en tête de liste. Tout ce qui pourrait faciliter la création d’entreprise, la gestion de la fiscalité, des fiches de paye, du droit du travail, le remplissage des formulaires (Cerfa, attestation, procès-verbaux, CVAE…), le déclenchement des aides ou subventions… est impatiemment attendu.

Parmi les pistes proposées :

  • Unifier les sites des guichets uniques (qui n'ont plus rien d'uniques à force) ;
  • Rendre le système plus lisible (sont pointées par exemple l’accès à la prime à la rénovation énergétique ou l’aide à l’embauche d'un apprenti) ;
  • Répandre le principe du "1 seul clic" pour les demandes les plus courantes sur les plateformes administratives (modification du type de société, de l’adresse du siège, dépôt de comptes, changement de Siret, informations relatives à la protection ou à la marque…) ;
  • Fluidifier et accélérer les procédures auprès des greffes des tribunaux de commerces ;
  • Changer les modalités d’appels d’offres dans les marchés publics au profit des PME/TPE ;
  • Faciliter les démarches de transmission d'entreprise ou de cessation d'activité

Alléger l’administratif "du quotidien"

Les entrepreneurs ont également souligné la lourdeur que représentent le calcul des charges, la mise en œuvre des feuilles de paye, les trop nombreux canaux de déclaration, les délais de paiement trop longs (notamment de la part des pouvoirs publics !).

Sur ces points précis également, les contributeurs de cette consultation ne manquent pas d’idées pour simplifier leurs démarches les plus usuelles :

  • Unifier les déclarations (une seule DSN par an) et centraliser leurs envois ;
  • Clarifier les libellés sur les fondements des charges (y compris la TVA) ou développer des simulateurs pour mieux comprendre et maîtriser la gestion de la fiscalité au cours de l’année ;
  • Renforcer les obligations contractuelles des délais de paiement et garantir les mêmes conditions dans le privé et le public (avec des compensations, voire des amendes en cas de dépassement) ;
  • Consolider le droit à l'erreur et les communications préalables aux sanctions…

Sujets à controverse : le passage obligé à la facturation électronique, qui inquiète d’ores et déjà les plus petites structures, l'obligation de déposer les comptes annuels (certains prônent l’exonération, au moins pour les TPE) ou le recours encouragé aux experts-comptables : si certains suggèrent de subventionner leurs honoraires durant la première année d’activité, d’autres pointent leur "monopole injustifié" ou le fait qu’ils "facturent chaque modification de loi ou de la législation".

L’administration doit s’adapter aux usagers, et non l’inverse

Le manque de synchronisation entre les administrations, de contacts directs, de clarté, de réactivité et la redondance des demandes entre Urssaf, CAF, caisses retraites, centres de formalités… fatiguent les chefs d’entreprise qui jugent l'administration trop méfiante, voire trop "accusatrice". C’est là aussi, l’un des principaux enseignements de cette consultation publique.

Les serveurs vocaux, les plages horaires d’appel, la dématérialisation, la multiplication des sites et portails qui avaient vocation à faciliter le quotidien des usagers ont apparemment eu l’effet contraire.

Pire, les entrepreneurs ont l’impression de devoir sans cesse s’adapter à l’administration sans qu’elle ne leur donne satisfaction en échange (manque de connaissance, de formation, "peu aidants", courriers peu compréhensibles, vocabulaire législatif trop complexe…).

Une fois encore, les agents de Bercy pourront plancher sur plusieurs pistes concrètes :

  • Assurer un équilibre entre rendez-vous présentiels et dématérialisés (notamment avec l’Urssaf) ;
  • Pouvoir répondre à un conseiller même après la clôture de l’espace d’échange ;
  • Unifier l’ensemble des sites et portails disponibles (Urssaf, Impôts, DPAE, CFE) ;
  • Permettre un accès avec identifiants uniques (via France connect, ANTS, pour par CNI ou numéro Siret).
  • Pouvoir bénéficier d’une entrée par profession et taille d’entreprise ;
  • Générer des notifications en cas de message urgent (éligibilité, seuils franchis, etc.) ;
  • Appliquer le principe du "Dites-le nous une fois" pour ne pas avoir à renvoyer plusieurs fois les mêmes documents ;
  • Développer un pôle d’accompagnement dédié spécifiquement aux jeunes TPE ;
  • Mobiliser un langage plus intelligible et faire preuve de plus de pédagogie ;
  • Rapprocher les fonctionnaires (ou tout décisionnaire public) d’une expérience de terrain (formation, immersion, stage, observation) afin de mieux connaître et comprendre les réalités économiques des TPE.

Trop de normes tuent la norme

400.000 normes réglementent la vie des entreprises françaises aujourd’hui, dont certaines jugées obsolètes ou incohérentes. De quoi friser l'overdose !

Sur ce point, les entrepreneurs espèrent par exemple une distinction entre grandes entreprises et TPE, ces dernières n’ayant pas le temps ou les mêmes ressources humaines pour traiter les règles sociales et fiscales.

Le statut d’auto-entreprise toujours controversé

Preuve de la vulgarisation de ce statut et de sa place de plus en plus prépondérante dans l'entreprenariat français : la part des auto-entrepreneurs ayant pris part à cette consultation s’élève à 17% (juste derrière les dirigeants de TPE qui culminent à 31%).

Preuve que leur statut est toujours soumis à débat :

  • 39% se sont positionnés en faveur de l’obligation de qualification professionnelle pour accéder à ce statut ;
  • 41% estiment encore que ce statut crée une concurrence déloyale vis-à-vis des TPE classiques (car leurs charges et fiscalité sont plus souples) ;
  • 38% s’opposent à la libéralisation de leur plafond de chiffre d’affaires.

Des droits sociaux équivalents pour tous

Les entrepreneurs espèrent enfin prochainement être assurés d’une meilleure protection sociale et surtout du principe d’équité avec les salariés notamment sur les questions de pension de retraite, de droits au chômage ou encore d’indemnités maladie ou accident.

Quand ces propositions se concrétiseront-elles ?

Le cabinet de Bruno Le Maire a indiqué à la presse vouloir "tirer rapidement les conséquences" de ces enseignements, en mettant l'administration "au service des citoyens", sur la base de "la confiance". Un système qui a eu cours lors de la crise du Covid-19 et du fameux "quoi qu'il en coûte" lors desquels  l'administration a déboqué des aides aux entreprises qui en faisaient la demande, quitte à faire des contrôles a posteriori.

Pour l'heure, Bruno Le Maire s'est déjà dit favorable au principe du "une fois pour toutes" qui autoriserait une entreprise à ne présenter des justificatifs pour une période donnée qu'une fois et non à chaque formalité entreprise. Il s'est aussi montré ouvert à "une élévation du seuil de 50 salariés à 100 dans les entreprises", pour l'entrée en vigueur de certaines obligations, "même si cela a un coût [financier] pour l'État".

Le texte pourrait en outre instaurer un guichet unique de la commande publique ou des subventions (y compris européennes), une harmonisation des documents entre les différents ministères (Travail, Environnement, Logement…), le raccourcissement de certains délais, l'allègement des contrats ou la simplification des fiches de paie.

Un rapport des parlementaires ayant planché sur ce futur projet de loi Simplification, dit "Pacte II", est attendu d’ici une dizaine de jours. Un premier texte devrait être rendu fin mars/début avril avant de poursuivre son parcours législatif. Objectif : une présentation en conseil des ministres avant l’été. Les chefs d'entreprise ne sont plus à cela près... à moins que ?

>> L'ensemble des résultats de cette consultation publique sera disponible prochainement sur make.org.

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