Natacha Polony : "Fabriquer en France, c'est préserver une mémoire"
Pourquoi vous engagez-vous en faveur du Fabriqué en France ?
Tout d’abord, l’enjeu écologique nous pousse à penser à une relocalisation de l’économie. C’est une aberration de fabriquer à l’autre bout de la planète ! Je n’ai jamais opposé écologie et économie : "fin de mois" et "fin du monde" doivent se penser ensemble. La redynamisation du tissu industriel français permettrait, de plus, de continuer à faire vivre les territoires et leurs richesses. Fabriquer en France, c’est aussi préserver les savoir-faire, une mémoire, il y a une dimension culturelle. Je me suis jadis engagée auprès de Jean-Pierre Chevènement, qui était le seul à parler de désindustrialisation et de préservation des filières ; tout le monde ne jurait que par la mondialisation et le libre-échange…
Qu’en résulte-t-il aujourd’hui ?
Le système mis en place appauvrit les gens et détruit des territoires. Les politiques ont laissé disparaître des pans entiers de l’économie. Par exemple, lors du processus d’intégration de la Chine à l’OMC, l’UE a supprimé ses droits de douane. Trois mois plus tard, les importations de pull-overs chinois avaient bondi de 450% ; deux ans après, il n’y avait plus de filière textile en France ni en Europe ! Le poncif selon lequel ce combat est "franchouillard " est consternant, car il s’agit de survie économique ! On parle beaucoup de la réforme des retraites. À quel moment va-t-on expliquer que le problème est le manque de cotisants, et donc qu’il faut des emplois en France ?
"L’acte d’achat est politique. Consommer français, c’est avoir un impact sur l’économie française."
Et l’artisanat dans tout ça ?
L’un des phénomènes majeurs de notre modernité est l’industrialisation des processus. Dans ce contexte, l’artisanat reste indispensable car il répond à des problématiques essentielles, qui émergent seulement aujourd’hui. Primo, la question de la maîtrise du sens de ce que l’on fait. Secundo, la question de la transmission et du lien entre les générations ; puisque les gestes ne peuvent pas être réduits à une technique codifiée, l’artisanat relève d’une expérience qui se transmet. C’est fondamental pour que la société puisse exister et se sentir soudée. Tertio, l’artisanat induit une traçabilité ; cela sollicite la responsabilité du consommateur. Quarto, l’artisanat maintient de la vie dans chaque territoire. Quinto, l’autonomie mène à l’épanouissement ; l’artisanat répond à une certaine conception de la liberté.
Industrie, artisanat… Comment redresser la barre ?
Il faut développer les formations et l’apprentissage. Le discours de la société doit changer. Les métiers artisanaux ne sont valorisés qu’à travers la forme restreinte de "métiers de niches". L’Éducation nationale passe à côté de l’intelligence de la main, qui est une notion essentielle. Il faut remettre en avant l’amour du travail bien fait, l’effort, toutes les valeurs qui sont au cœur de l’artisanat. L’État doit mobiliser ses moyens afin de soutenir ces filières, qui sont d’énormes sources d’emploi.
Quelques dates...
- 1999 : Agrégée de lettres modernes ; admise à Sciences Po Paris.
- 2002 : Candidate aux élections législatives (liste de Jean-Pierre Chevènement) et premier article publié dans l’hebdomadaire Marianne.
- 2011 : Chroniqueuse dans l’émission On n’est pas couchés (France 2) aux côtés d’Audrey Pulvar puis d’Aymeric Caron.
- 2018 : Directrice de la rédaction de Marianne.
- 2019 : Participation à deux conférences lors du Salon du Made in France : "Et si on arrêtait de brader la France ?" et "Consommer local, c’est possible !"
- Connectez-vous ou inscrivez-vous pour publier un commentaire