"Réflexions" dans les jardins du Palais Royal : rencontre avec son créateur, le maître verrier Emmanuel Barrois
Cet échafaudage tridimensionnel en verre de 15 mètres de haut est le fruit de trois années de travail par une équipe pluridisciplinaire : Emmanuel Barrois, maître verrier, son équipe, et "les meilleurs ingénieurs d’Europe".
Elle prendra place dès le 15 septembre dans les jardins du Palais Royal pour deux mois...
"Une expérience particulière, très marginale"
Réflexions est un ouvrage immense pour une petite entreprise qui compte "seulement" 12 artisans d’art.
"Nous ne sommes pas censés avoir la capacité de faire un tel objet : un mikado monumental en verre comme ça, c'est du jamais vu.
Si on additionne le nombre d’heures, les coûts, l’énergie déployée…, nous avons concrétisé un projet à l’expérience particulière et surtout, très marginale."
En effet, pour arriver à ce résultat, ont été nécessaires :
- Près de 12.000 heures de travail,
- 8 tonnes de verres
- 6.000 mètres de prismes entremêlés.
"C’est un projet qui porte un certain nombre de cicatrices : le Covid a provoqué pleins de remous, les mécènes se sont désistés avec le début de la guerre en Ukraine, la pénurie de matériaux a ralenti la fabrication… Bref, un long parcours du combattant, mais la résilience n’est-elle pas une des forces dont a fait preuve l’artisanat ces dernières années ?"
Une œuvre pour matérialiser la transition entre deux mondes de savoir-faire
Pour rester fidèle à l’élan premier des artisans du Moyen Âge, qui participaient à l’avènement de l’architecture contemporaine de leur époque, le maître verrier s’est questionné sur la façon dont il pourrait faire perdurer cette mission alors que le "monde du verre" et de l’architecture sont maintenant totalement industrialisés.
Pour mettre sur pied cette réflexion, Emmanuel Barrois a opté pour une méthode de travail hybride :
- Prendre ce qu’il y a de mieux dans l’artisanat, à savoir le savoir-faire du travail manuel,
- Les process industriels, technologiques et numériques.
"Avec ce cocktail improbable, on produit des projets que ni le monde de l’artisanat, ni le monde de l’industrie ne seraient capables de mettre en œuvre de façon isolée."
Une ôde aux bâtisseurs
"J’ai bientôt 60 ans : on ne passe pas 35 ans de sa vie dans un atelier à travailler de ses mains sans se demander si tout ce travail a oui ou non du sens.
Notre monde actuel se dématérialise, il devient virtuel : le nouvel avatar, après Internet, sera sans aucun doute l’intelligence artificielle. Dans cette mutation globale, impliquer le corps humain, l’intelligence de la main, dans le travail n’est pas anodin."
Aux questions : est-ce que ce travail a du sens ? Est-ce qu'il dit quelque chose sur notre époque ? Est-ce qu’il nous prépare aux défis de demain ?
Ce questionnement, l’artisan l'a entrepris depuis plusieurs années. Alors que "beaucoup de gens parlent et peu font", il a choisi d’aller sur les chantiers, car il a une profonde admiration pour le fait de bâtir des choses concrètes, notamment pour les travailleurs, les architectes, les ingénieurs, "tous ces gens qui mettent leur savoir-faire et leurs ressources en commun pour réaliser quelque chose de concret."
Une création à la dimension mathématique, physique et philosophique
"Je pense que si on devait imprimer toutes les pages de calculs qui ont été programmées par les ingénieurs, cela se concrétiserait par plusieurs milliers de pages.
Ce sont des calculs complexes à plusieurs variantes, comme le poids, la résistance au vent, la résistance sismique (puisque l’œuvre sera exposée au Japon en 2025, ndlr), la résistance des matériaux, la résistance des liants pour l’assemblage des pièces en verre, etc.
À ces calculs, de nombreux tests ont été effectués en laboratoire, et des articles sont même parus dans des revues scientifiques !"
À l’origine de la conception, Emmanuel Barrois n’avait pas idée de toutes les questions que le projet allait soulever.
"Je savais que ça allait être compliqué, mais je n’imaginais pas à quel point. Au fil des mois, dans un contexte compliqué (crise sanitaire, flambée des prix, coût des matériaux), on a découvert la masse de travail à faire au fil de l’eau."
Enfin, "Réflexions" porte également une valeur philosophique, puisque le maître verrier a collaboré avec Cynthia Fleuri, professeure au Conservatoire National des Arts et Métiers.
"Elle a porté un regard sur l’œuvre, a écrit le texte de présentation et animera des conférences dans le cadre de l’exposition."
Vous souhaitez voir l’œuvre Réflexions ? Rendez-vous au jardin du Palais Royal (Paris) à partir du 15 septembre !
Mini-biographie
Autodidacte, Emmanuel Barrois commence à apprendre le travail du verre en restaurant des vitraux de cathédrale ou d’abbayes dans les années 90. Son attrait pour le métier le détourne des tâches de restauration, pour l’orienter vers des tâches propres à la création.
Il est considéré comme un maître verrier visionnaire dans la profession, et a été nommé maître d’art verrier d’architecture par le ministère de la Culture et de la Communication. En 2013, il est promu, au grade d’officier de l’ordre des Arts et des Lettres. Il collabore dans le monde entier avec des architectes et créateurs de renom pour faire, à partir du verre, de la lumière une matière. Son travail de création personnel a été exposé aux musées nationaux du Japon et de Chine ainsi qu’au Centre Pompidou à Paris.
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