Il transforme l'eau en pierre
Des sources qui puisent leurs minéraux dans les volcans, telle est la richesse de l’Auvergne. "Au début du XIXe siècle, alors que le thermalisme devenait tendance, trouver une source d’eau, c’était comme trouver un puits de pétrole", raconte Éric Papon, septième génération aux commandes. L’érudit et curieux Jean Serre, son aïeul, se lance à leur recherche sur ses terres. Il y expérimente la pétrification, technique alors balbutiante en Italie, qui consiste à "récolter" le calcaire fortement présent dans ces eaux pour leur donner des formes artistiques. L’enfant du pays est loin de se douter qu’il est en train de tracer la destinée familiale pour, au moins, deux siècles…
Apprivoiser la matière
Maîtriser la pétrification suppose d’apprivoiser l’eau, la contraindre en creusant des canaux, la filtrer pour conformer son taux de fer à la couleur désirée, et enfin la faire dévaler la fontaine pétrifiante : une échelle qui peut mesurer près de 30 mètres de haut sur laquelle sont placés les moules à remplir et les objets à recouvrir. Par un principe physico-chimique, magie : l’eau poursuit sa course (à 37 litres/mn) et le calcaire reste, s’incruste dans les moules, micron par micron. 800 à 1 200 pièces sont ainsi produites tous les ans, certaines nécessitant jusqu’à 14 mois de travail. "Il faut dix ans pour comprendre le calibrage de la matière et obtenir la régularité voulue", affirme Éric Papon.
Abnégation et présence
Saint-Nectaire a compté jusqu’à douze fabriques concurrentes mais seule l’entreprise de la famille Papon a survécu, devenant la dernière au monde détentrice de ce savoir-faire. "Nous manipulons les pièces tous les jours et exploitons trois fontaines. C’est un métier de présence allié à un matériau en évolution permanente. Cela suppose un énorme engagement physique." Beaucoup de polyvalence aussi. Les cinq salariés à l’année alternent entre bureau, boutique, accueil des touristes, atelier de moulage et de démoulage et… nettoyage (le calcaire stagnant dans les canaux et sur les échelles doit être retiré deux fois par an, parfois au marteau-piqueur !).
60 000 visiteurs par an
Comprenant que leur singularité au cœur d’une région touristique pouvait attiser la curiosité, l’entreprise s’est ouverte au public dès 1922 (des précurseurs) ; cette activité commerciale à part entière sera développée dans les années 50. En 2005, Éric Papon, épaulé de sa femme Christine, lance des travaux de restructuration d’envergure et investit 1 M€. Bâtiment moderne et accessible, label Qualité Tourisme (le premier de la région), scénographie… tout a été pensé pour accueillir le public à un rythme soutenu. "En été, des groupes de 20 à 30 personnes se succèdent toutes les 10 minutes. Nous embauchons cinq personnes pour les visites." 60 000 personnes passent leur porte tous les ans.
De vastes horizons
"On ne connaît que 20 à 25 % du potentiel d’utilisation de la pétrification. L’exploration, les tâtonnements successifs avec mon collaborateur…, c’est ce qui rend notre activité très excitante", s’enthousiasme Éric Papon. La technique séduit aussi les designers et artisans d’art qui viennent à Saint-Nectaire expérimenter, créer, élargir leurs horizons. Au point que certaines pièces en partie pétrifiée ont été exposées (musée des Arts décoratifs) et distinguées (« Aven » a fini seconde du Prix Liliane Bettencourt en 2016). Une reconnaissance méritée mais jugée trop marginale par Éric Papon qui œuvre désormais pour que son savoir-faire singulier puisse se perpétuer et soit inscrit au registre des métiers d’art.
Dates clés
1821 : Création de l’entreprise par Jean Serre, aïeul d’Éric Papon
1922 : Ouverture des fontaines pétrifiantes au public
1998 : Reprise de la gérance par Éric Papon
2008 : Fin de la première phase de rénovation, 1 M€ d’investissement
2009 : Obtention du label Entreprise du patrimoine vivant, renouvelé en 2014
2017 : Lancement de la 2e phase de rénovation qui a duré 5 semaines
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