Entretien

Bonus Réparation : "Les critères de labellisation ont été conçus en premier lieu pour les artisans"

Le 08/11/2023
par Propos recueillis par Julie Clessienne
Ce mardi 7 novembre marquait le coup d’envoi du Bonus Réparation textile. À son initiative : l'éco-organisme Refashion, chargé par le gouvernement de "verdir" une industrie particulièrement polluante. Se faire labelliser vaut-il le "coût" pour les artisans cordonniers et retoucheurs ? Réponse avec Elsa Chassagnette, responsable du fonds réparation chez Refashion…
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Quelles sont les conditions pour se labelliser au Bonus réparation ?

Le dispositif est ouvert à toute structure qui répond à :

  • des critères administratifs : il faut nous prouver qu’il s’agit d’une entreprise en bonne et due forme, sans distinction de codes NAF ou de statut (TPE, microentreprises ou même associations…) ;
  • des critères de compétences : nous demandons soit un diplôme, soit un CV qui prouve que l’artisan a au moins trois ans d’expérience ;
  • des preuves d’activité : factures clients, fournisseurs, consommables, machines…

Un dossier de labellisation quand même conséquent !

Cela peut paraître conséquent mais cette labellisation est gratuite et se fait entièrement en ligne.

La liste des documents attendus est consultable sur la FAQ du site Refashion. Les artisans y trouveront aussi les liens vers toutes les administrations comme les Impôts ou l’Urssaf…

Il est donc possible de bien préparer son dossier en amont puis il ne restera qu’à transmettre toutes les pièces justificatives sur la plateforme.

L’accès à celle labellisation est gratuite, contrairement au bonus qui favorise la réparation d'électroménager, lancé il y a un an. Pour ce dernier, les artisans doivent obtenir le label – payant – "Quali Répar".

À combien s’élèvent ces bonus ?

Ils vont de 6 à 25€.

Dans le détail, 4 réparations sont éligibles en retoucherie :

  • Trou, accroc, déchirure : 7€ ;
  • Doublure : 10 ou 25€ (selon si la réparation est simple ou complexe) ;
  • Zip : 8 ou 15€ (petit ou grand)
  • Couture défaite : 6 ou 8€ (selon si elle est doublée ou non)

Et 5 en cordonnerie :

  • Patin : 8€
  • Bonbout (embout de talon) : 7€
  • Couture/collage : 8€
  • Ressemelage : 18 ou 25€ (selon s’il s’agit de gomme ou de cuir)
  • Zip : 10 ou 14€ (selon s'il est plus ou moins long de 20 cm)

Seule condition : les bonus ne doivent pas représenter plus de 60% du prix TTC de la prestation. Étant dans une démarche de pédagogie, nous désirons qu’il subsiste un reste à charge pour le client. Rendre la réparation gratuite risquerait de l’invisibiliser. De même, nous ne voulons pas que l’acte administratif ait un coût supérieur au montant du bonus, déjà petit.

Combien de réparateurs sont déjà impliqués ?

600 points de réparation ont été labellisés en France : 44% de cordonniers et 55% de retoucheurs.

Au démarrage de nos travaux, en janvier 2023, nous avons acheté une base de données auprès de l’Insee qui nous a appris qu’il y avait à peu près 12.000 réparateurs en France sous les codes NAF qui nous intéressaient (60% en retouche, 40% en cordonnerie). Un chiffre en cohérence avec ce que nous avaient fait remonter les fédérations.

Des groupes de travail ont été créés avec les représentants métiers, les artisans indépendants, les marques qui font de la réparation… afin d’identifier à quoi allait ressembler le dispositif et comment mobiliser les réparateurs.

Puis Refashion a fait appel à un prestataire chargé d’aller informer ces 12.000 réparateurs du lancement prochain du Bonus Réparation, soit par courrier, par mail, par téléphone ou en porte à porte.

En parallèle, nous avons mené beaucoup d’actions avec tous les groupements professionnels. Nous avons renforcé nos liens avec les fédérations en créant des webinaires à destination de leurs adhérents. Nous travaillons aussi avec les CMA pour faire du relais en région, avec les communautés de communes qui ont un attachement particulier à l’artisanat sur leur territoire, avec la Fédération des auto-entrepreneurs, qui nous a guidés sur les particularités propres à ce régime…

Concrètement, sur les 600 réparateurs labellisés, on dénombre 327 couturières et 254 cordonniers à ce jour.

Refashion est financé par le système du pollueur-payeur. N’est-ce pas contradictoire que des grandes enseignes, qui pratiquent la fast fashion (comme Zara), soient éligibles au dispositif. Est-ce que cela ne se fait pas au détriment des commerces de proximité pour lesquels les travaux de réparation sont vitaux ?

Il n’y a pas de concurrence ! Tout d’abord parce que Zara, par exemple, ne répare que ses propres vêtements.

Ces marques représentent 30% de nos labellisés aujourd’hui puisque certaines d’entre elles proposent de vrais services de réparation à leurs clients. D’autres ont opté pour de la sous-traitance en mettant à contribution des artisans.

"Aujourd’hui, l’industrialisation de la réparation n’existe pas donc les artisans indépendants vont être de plus en plus amenés à faire du B to B, de la sous-traitance pour ces marques."

Nous menons d’ailleurs un travail avec les fédérations pour inciter les indépendants à ouvrir leur offre à des clients professionnels et plus seulement à des clients directs.

Les critères de labellisation ont été faits pour être les plus inclusifs possible et développés en premier lieu pour les artisans qui représentent la majorité de la population de la réparation en France (70% de nos labellisés).

Vous avez mené des expérimentations sur le terrain. Comment les professionnels ont-ils été associés à la conception même du Bonus Réparation ?

Dès l’été 2022, nous avons commandé une étude à l’institut Kantar sur les habitudes de réparation des Français. Trois freins ont été identifiés, en proportions égales :

  • Le prix : la réparation était considérée comme trop chère ;
  • La méconnaissance du réseau de réparateurs et de leur savoir-faire ;
  • La méconnaissance de ce qui est réparable ou non.

Partant de ce constat, nous avons inclus dès le début dans nos groupes de travail tous les acteurs de la réparation : fédérations, indépendants, artisans avec leur boutique en propre, ceux qui proposaient des solutions digitales, quelques marques, des associations de consommateurs, etc. Un panel le plus large possible.

Pendant trois mois, nous avons imaginé ensemble ce dispositif et mené des expérimentations terrain, notamment avec une vingtaine d’artisans. Cela nous a permis d’affiner et de simplifier la labellisation, les montants éligibles, les catégories de bonus pour nous assurer qu’elles couvrent à peu près 80% des réparations faites majoritairement par les artisans.

Dans un deuxième temps, une expérimentation a été menée sur l’application même des bonus. Les fédérations nous ont informés du fait que 50% des cordonniers et 80% des retoucheurs n’étaient pas digitalisés. Il était donc inenvisageable de proposer une usine à gaz trop complexe à manipuler pour déclarer les réparations éligibles au bonus.

Nous sommes partis sur le principe d’une application pour smartphone avec très peu de saisies, surtout de la sélection d’options, des prix prérenseignés (par rapport aux tarifs saisis par le réparateur au moment de sa labellisation)…

Les artisans peuvent toutefois trouver ces démarches fastidieuses au quotidien (article à prendre en photo, scan des factures…). Pouvez-vous assurer aux professionnels que cela ne représentera pas une masse de paperasse supplémentaire pour eux ?

L’application est très intuitive et permet au réparateur d’être guidé pas à pas au moment de la déclaration du bonus. Nous les encourageons à le faire au fil de l’eau, en présence du client, afin d’appliquer les bons tarifs.

Il n’y a qu’une photo à prendre de l’article, avant la réparation (dans le cadre du dispositif anti-fraude).

À la fin, il suffit d’ajouter une facture car il nous faut une preuve factuelle que la réparation a bien été faite et que le client a bien payé le tarif déclaré et bénéficié du bonus annoncé. Après tout est automatisé…

La question de la méthodologie de remboursement a été largement étudiée en amont.

Nous avions d’abord envisagé un remboursement au coup par coup avant de nous rendre compte que cela aurait été une usine à gaz d’un point de vue comptable : les artisans auraient eu plein de petits virements sur leur compte. Compliqué pour la traçabilité et le recoupement d’informations !

"Nous avons finalement opté pour un virement unique en fin de mois, qui correspond à un exercice comptable. Le réparateur déclare au fil de l’eau via l’application les bonus avancés pour ses clients, Refashion synthétise l’ensemble, envoie l’ordre de virement à sa banque qui elle l’envoie à la banque de l’artisan."

S’il y a un souci sur un des bonus déclarés, Refashion le gèle le temps de clarifier la situation, tout en remboursant les autres. L’artisan a accès à toutes ses déclarations, peut extraire un document Excel pour son comptable…

Nous avons vraiment tenu à bien cadrer ce sujet, en bonne logique d’usage pour chacun.

Vous évoquez une adhésion gratuite, sans audit…, tout en visant une grosse augmentation des pièces réparées (+35% d’ici 5 ans). Comment allez-vous contrôler tout cela en assurant les délais de remboursement aux artisans ?

Nous avons essayé de limiter le plus possible les actions anti-fraude du côté des artisans. Refashion dispose de tout un arsenal d’outils qui vont nous permettre de traquer les moindres bizarreries faites au moment des déclarations.

Dans un premier temps, nous ferons un contrôle manuel pour que tout le monde ait le temps de se familiariser avec le dispositif. Le droit à l’erreur est possible pour le lancement !

En parallèle, nous travaillons sur une solution d’intelligence artificielle pour massifier les contrôles.

Vos opérateurs ne sont pas des professionnels aguerris de la réparation. Cela ne va-t-il pas être compliqué à contrôler ?

C’est pour cela notamment que nous avons mis à disposition des artisans labellisés un facturier manuel pour que les factures que nous traitons soient transmises en bonne et due forme. C’est très encadré et aidant pour tout le monde, y compris pour les opérateurs en charge de la validation des bonus.

600 labellisés pour la France entière, cela sous-entend que tout le monde n’aura pas forcément un réparateur à côté de chez lui. Une alternative est-elle possible pour les clients ?

Lorsque nous avons reçu la liste des 12.000 réparateurs et que nous les avons placés sur une carte, nous avons constaté de nombreuses zones blanches. Elles se reflètent également avec nos labellisés.

Pour les consommateurs dans ces zones, il existe une quinzaine d’entreprises qui proposent de travailler par correspondance pour pallier une offre de services de proximité limitée. Elles le faisaient déjà avant le bonus donc sont rodés à l’exercice…

Le bonus s’applique pour le moment aux vêtements ou aux chaussures, prévoyez-vous d’élargir la gamme, par exemple aux sacs ou aux sous-vêtements ?

La maroquinerie et les marques qui fabriquent des vêtements en cuir ne font pas partie de la filière encadrée par Refashion. Ses acteurs ne payent donc pas l’éco-contribution et nous ne pouvons pas proposer de bonus sur leurs produits.

Concernant le linge de maison et la lingerie, pour l’instant, ils ne sont pas éligibles car ils sont très peu réparés à date ou demandent une expertise particulière.

Comme nous avons très peu de demandes pour ces réparations et très peu d’artisans qui savent ou acceptent de les faire nous n’avons pas développé le bonus pour eux dans cette première phase. Cependant, nous travaillons sur le sujet, notamment avec la Fédération de la maille, pour savoir comment changer les mentalités sur la réparation de la lingerie, comment former les réparateurs…

Si un cordonnier ou une couturière intègre la démarche, auront-ils un kit de communication à disposition pour informer leur clientèle ?

Chaque labellisé peut télécharger un kit digital sur le site Refashion et reçoit un kit physique comprenant affiches, flyers, autocollants, vitrophanie et le fameux facturier.

Pour conclure rappelez-nous combien de tonnes de vêtements finissent à la poubelle chaque année ?

Je n’ai pas ce chiffre exact mais, tous les ans, autour de 800.000 tonnes de vêtements sont vendues en France. Refashion en trace 200.000 tonnes via ses collecteurs labellisés.

Les 600.000 tonnes restantes dorment dans nos placards, se retrouvent sur Vinted ou Le Bon Coin, potentiellement dans nos poubelles, ou chez des collecteurs que nous n’avons pas encore réussi à contractualiser chez Refashion…

PLUS D'INFOS

Qui se cache derrière Refashion ?

Refashion est un éco-organisme, soit une entreprise privée à but non lucratif, agrée par les pouvoirs publics, en l’occurrence les ministères de la Transition écologique et des Finances. Sa mission existe depuis 2008, d’abord sous le nom d’Eco-TLC (textile, linge de maison et chaussures).

Cet organisme est né de la volonté des marques de se constituer en filière pour gérer la fin de vie de leurs produits. Toute marque qui vend en France ces produits est soumise à une éco-contribution qui permet de financer les missions de Refashion. Initialement : le tri, le recyclage et l’éco-conception. Avec leur nouvel agrément, en janvier 2023, leur incombe désormais la mission de réparation, dont ce bonus est le fruit. Pour les six prochaines années (2023-2028), l’enveloppe dévolue à ce projet s’élève à 154 M€ : 7,4 M€ débloqués pour 2023, puis 14,7 M€ alloués dès 2024.

Selon l’Ademe, en 2019, 16 millions de pièces étaient réparées. Avec la mise en place du Bonus Réparation, Refashion vise les 21,6 millions de pièces réparées en 2028, soit +35%.

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