L’incompétence de l’administration
"Artisan indépendant, j’ai reçu un PV pour excès de vitesse que j’ai réglé en toute bonne foi immédiatement. À mon plus grand étonnement, j’ai reçu ensuite un second PV pour non-dénonciation de conducteur. Après une première contestation rejetée par l’administration, j’ai décidé de payer aussi cette amende pour sortir de l’engrenage infernal qui me menaçait d’une amende finale de 1 875 euros ! Compte tenu de la faiblesse de mon revenu d’activité, le PV de 450 euros représente deux semaines de revenus." L’artisan aurait ainsi dû se dénoncer lui-même, malgré l’ineptie d’une telle démarche (voir encadré ci-dessous). Comment ? Aucune indication n’est fournie. "Les conducteurs ne comprennent pas qu'il faut s'auto-désigner puisque ce n'est pas écrit", explique Nathalie Troussart, secrétaire générale de la Ligue de défense des conducteurs (LDC). De plus, dans l'avis d'infraction reçu, il y a trois cas de contestations possibles, mais rien sur ce cas précis. "L'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai) nous dit qu'il faut qu'ils disent qu'ils ne sont pas conducteurs alors qu'ils sont conducteurs. Ce n'est écrit nulle part. Ils ne se dénoncent donc pas." L’agence leur envoie ainsi une deuxième amende. Double peine.
Réactions des « pigeons »
La LDC a vite croulé sous les témoignages. "Nous avons reçu énormément d’appels, par vagues correspondant aux traitements groupés de l’Antai", observe Nathalie Troussart, qui soulève une énième anormalité : "L'Antai a même appliqué ce dispositif à des infractions d'avant 2017". La LDC est montée au créneau. "Nous avons énormément communiqué. Nous avons demandé à ce que le document soit refait, qu'une case de contestation adéquate puisse être clairement cochée ; nous avons demandé la diminution des amendes, ainsi que l'intégration du droit à l'erreur dans l'article L 121-6. En effet, les conducteurs sont de bonne foi puisqu'ils payent la première amende !" Fin 2017, la Ligue de défense des conducteurs a demandé à tous ses sympathisants (qui sont 1,4 million) de saisir le Défenseur des droits.
Sursaut de l’administration
Face à la recrudescence exceptionnelle des réclamations, le Défenseur des droits a publié une décision en novembre 2017 (n° 2017-328) formulant le même constat que la LDC et produisant des recommandations à l’attention du Gouvernement pour rendre les documents plus compréhensibles. "À la suite d'une rencontre des services du Défenseur des droits avec la délégation interministérielle à la sécurité routière du ministère de l'Intérieur, et après accord de la Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, les recommandations du Défenseur des droits ont été majoritairement suivies et les avis de contravention ont été modifiés. Une nouvelle mise en production a été programmée la semaine 51 de l'année 2017 [semaine du lundi 18 décembre, ndlr]", nous a indiqué le service presse de l'institution.
On pourrait croire que le récent vote du Droit à l’erreur (par les députés le 23 janvier 2018) serait une avancée. "J’ai participé à la rédaction d’un amendement spécifique sur le sujet, il a été rejeté", nous confie Maître Josseaume, avocat de la LDC. Après "incompétence" un nouveau mot nous vient à l’esprit : "incohérence".
Personne morale ou personne physique : le coup de gueule
Rémy Josseaume, avocat, docteur en droit et spécialiste en droit routier.
"La loi fait peser sur le représentant légal d’une personne morale une obligation qui consiste à identifier le conducteur au moment de l’infraction. Il y a là une assimilation grossière, comme si une entité économique était nécessairement une personne morale. C’est faux ! C’est scandaleux que l’administration assimile un professionnel libéral ou une entreprise individuelle à une personne morale. C’est faire appliquer un texte à des gens qui ne sont pas visés par le texte. Les tribunaux diront que ces gens-là ne sont pas concernés. Une personne morale a un patrimoine, une personnalité juridique distincte de ceux qui la composent. C’est le b.a.-ba du droit des sociétés/droit commercial. L’administration est incompétente."
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