Un irréductible dans un jeu de quilles

Histoire d’un sauvetage

« Les clients les plus âgés qui appellent ici demandent encore M. Kessler ! », s’amuse Norbert Fourot. Il faut dire que l’entreprise de tournage sur bois qu’il a reprise en 2010 était plus qu’une institution en Bourgogne. Sa réputation en matière de fabrication de jeux de quilles dépassait largement les frontières, et ce depuis 1929. « En tant qu’ébéniste, je collaborais depuis quelques années avec cette entreprise. Quand l’ancien dirigeant [qui n’était déjà plus M. Kessler !, ndlr] a décidé d’arrêter, je me suis dit qu’on ne pouvait pas laisser perdre ce savoir-faire, qui est un vrai patrimoine culturel ! Je me suis lancé et ai opté pour un nouveau nom, en ajoutant la dimension "design" », résume-t-il.

« Il y a tant d’évolutions dans les métiers du bois qu’on ne peut plus vivre sur nos acquis. Si on ne crée pas, on va mourir », assure Norbert Fourot.

La créativité comme moteur

« Chêne, érable, hêtre… J’aime tous les bois ! Avec une préférence pour le noyer », affirme Norbert Fourot. Persuadé que la créativité doit rester le moteur principal d’un artisan digne de ce nom, l’ébéniste cherche sans cesse à se renouveler.

« Dans nos métiers, nous sommes très tributaires des modes d’où la nécessité d’innover constamment. Là, je viens de finir une console assez technique au niveau de la qualité du tournage et originale de par l’association de trois essences de bois différentes. »

Des prouesses qui lui valent de travailler régulièrement avec des designers réputés.

Une tradition en voie d’extinction

Seul aux commandes de ses tours à torsader, Norbert Fourot perpétue la tradition du tournage sur bois. Un art un peu désuet, presque en voie d’extinction, qui a pourtant toujours sa clientèle et représente 70 % de son activité : « Je fabrique des pieds de clavecin pour l’Atelier Marc Ducornet (78), des pieds de lampe pour Pouenat, un ferronnier réputé de la région… Avant la mode des escaliers en plaques de verre ou en métal et des émissions de déco qui encouragent à relooker plutôt qu’à racheter, nous faisions jusqu’à trois escaliers par semaine ! Aujourd’hui, c’est plutôt un tous les six mois », déplore l’artisan qui travaille surtout désormais en flux tendu.

Un label, une fierté

Niveau visibilité et communication, Norbert Fourot le concède sans langue de bois (forcément) : « Je n’ai pas le temps d’exposer sur des Salons ». En revanche, il tenait farouchement à obtenir le label Entreprise du patrimoine vivant (EPV).

« J’ai mis deux ans à préparer mon dossier. Je voulais trouver les mots justes pour décrire mon activité. L’ancienneté de l’entreprise et ma passion du métier ont fait la différence et j’en suis fier. Je le prends comme une distinction personnelle, quelque chose qu’on n’achète pas, une reconnaissance de l’État qui me distingue de mes concurrents. »

À chaque canton sa quille

Si désormais les ventes de jeux de quilles ne sont plus qu’anecdotiques (sept à dix jeux par an, surtout commandés par des collectivités locales), Norbert Fourot tient à rester un des derniers dépositaires de ce savoir-faire. Et conserve jalousement les gabarits de toutes les quilles produites dans l’entreprise depuis près de cent ans. « Elles sont toujours en charme mais les modèles sont spécifiques à chaque canton. La quille du Doubs n’est pas celle du Morvan, de la Côte-d’Or ou de Belfort ! » Les boules, elles, sont traitées de façon naturelle et traditionnelle de sorte que, à essence égale, elles soient plus dures et denses. Un procédé devenu très rare.

www.hmbois-tournage.com