Portrait

Jean Bataille : lettres et caractère

Le 05/07/2024
par Julie Clessienne
Il peint comme il respire. Depuis 48 ans. Jamais lassé, rarement blasé. Le Girondin Jean Bataille est de ces irréductibles qui exercent leur art en faisant fi des effets de mode, des blouses tachées et des facilités offertes par la modernité. Un peintre en lettres comme on n’en fera, malheureusement, plus.
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"Aujourd’hui, avec la modernité, tout se ressemble. Mes enseignes, elles, sont toutes différentes, affirme Jean Bataille, l'un des derniers peintres en lettres.

Son patronyme l’a-t-il prédestiné à lutter plus qu’un autre ? Difficile à dire. Jean Bataille a en tout cas le mérite d’avoir fait perdurer un savoir-faire rare et précieux depuis près d’un demi-siècle.

Sa vocation s’est très vite imposée. Il sera peintre en lettres, comme son père et ses deux frères qui possédaient leur atelier à Bordeaux. Il fait ses armes en apprentissage chez un de leurs confrères.

"À l’époque, on apprenait beaucoup chez les patrons. Des alphabets entiers, par cœur, comment tracer les lettres, ajouter de l’épaisseur, grâce à la feuille d’or notamment… Je me replonge parfois dans ces enseignements car, avec le temps, je peux oublier certaines subtilités, comment exécuter telle lettre de tel alphabet." 

Son champ de connaissances et de compétences se parfait encore quotidiennement, avec la même flamme. "Je puise mon inspiration dans ce qui m’entoure, dans des livres. Je m’intéresse par exemple à la technicité des couleurs : comment elles sont nées, comment elles ont été fabriquées. Il faut s’enrichir de la provenance des produits, se rappeler que tout vient initialement de la terre."

Faire mouche

Dans un monde uniformisé, parfois aseptisé, les enseignes tracées à la main par Jean Bataille font mouche dans le paysage et se veulent toutes différentes. Le fruit d’un travail mené conjointement avec ses innombrables clients.

"Je vais d’abord découvrir le lieu, les produits… Puis on discute ensemble du style, de l’époque, du jeu d’ombre souhaités."

Musées, restaurants prestigieux (comme celui de Philippe Etchebest à Bordeaux), petits commerces voulant jouer la carte de l’authenticité, châteaux viticoles (un gros pan de sa clientèle) font appel à lui, dans la France entière.

Enseignes, murs, sols, véhicules, bardages, chais… Jean Bataille est amené à peindre sur tous types de supports, "sauf sur la soie et la porcelaine", précise-t-il.

Si les lieux accueillant du public, contraints à soigner leurs façades, continuent à le solliciter régulièrement, les crises liées au Covid et à la guerre en Ukraine ont provoqué une baisse de demandes de la part de sa clientèle privée. "Mon père avait cinq salariés et du travail pour tous les jours mais cette époque est révolue. Aujourd’hui, si je ne faisais que ça, j’aurais du souci à me faire !" Jean Bataille a dû se diversifier pour durer.

Après lui, le déluge ?

Spécialiste de l’héraldique, il est amené à redorer des blasons pour des institutions (consulat…) ou des châteaux. Ses talents de peintre décorateur l’amènent à restaurer les santons ou les statues des églises, à redonner des couleurs aux rosaces, corniches et moulures de particuliers.

Jean Bataille entouré de sa fille Noémie et de ses frères Bernard et Michel.

Jean Bataille a même concédé à faire un peu d’adhésifs (10% de son CA) : "C’est purement alimentaire, histoire de dépanner les plus pressés. Par exemple, pour un flocage destiné à un véhicule, on peut comprendre que le client n’ait pas envie qu’il soit immobilisé plusieurs jours." 

Car, peindre dans les règles de l’art prend du temps, d’un jour à une semaine selon les projets. Un art qu’il aura bien du mal à perpétuer quand il cessera son activité.

"Il n’y a plus de formation ni d’examen au métier à Bordeaux depuis 40 ans. Si je devais transmettre toutes mes connaissances à un jeune, cela prendrait des années et je ne suis pas sûr que cela les intéresse encore…" 

À 64 ans, en marge des modes qui se démodent, Jean Bataille poursuit sa lutte, les mains dans la peinture comme d’autres dans le cambouis. Le geste sûr et l’esprit libre.

Plus d’infos

Dates clés

  • 1976 : Il démarre son apprentissage à Bordeaux.
  • 1985 : Il part au Québec pour "voir du pays". Le référendum sur l’accession du territoire à la souveraineté en 1995 actera son retour, la situation économique étant devenue compliquée.
  • 2003 : Après le départ en retraite de ses frères, il se lance à son compte.
  • 2015 : Il obtient le titre de Maître artisan d’art.
  • 2024 : La CMA de la Gironde lui remet la Médaille d’or du mérite artisanal.
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