Salariat ou entraide familiale : il faut choisir !
La difficile limite entre le salariat du conjoint et l’entraide : cas d’école
Comme beaucoup de conjoints d’artisans Madame M. ne compte pas ses heures de travail au sein de la boulangerie familiale tenue par son mari.
Liée par un contrat de travail de 30 heures hebdomadaires, son époux chef d’entreprise reconnaît, lors d’un contrôle Urssaf, que son épouse travaille dans les faits 8 heures par jour, du lundi au dimanche dans sa boulangerie : soit bien au-delà des horaires contractuellement prévus.
Voilà autant de manque à gagner de cotisations pour l’Urssaf qui renvoie le boulanger devant le tribunal correctionnel, pour travail dissimulé.
L’artisan est déclaré coupable, il fait alors appel et obtient gain de cause.
En effet, la cour d’appel considère que "la femme du boulanger" intervenait au-delà des horaires contractuels, non pas en qualité de salariée mais en qualité d'épouse pour la bonne marche de l'entreprise familiale.
La cour relève également que les heures effectuées au-delà de la 30e heure n’avaient pas été payées, et qu’elles n’ouvraient en conséquence pas droit au versement de cotisations.
L’Urssaf se pourvoit en cassation et la Haute Cour lui donne raison en censurant la décision d’appel.
Le rappel de la règle de droit
Dans leur arrêt du 26 mai 2021, les magistrats rappellent tout d’abord la règle de droit…
En vertu des dispositions de l'article L. 8221-5 du Code du travail, "est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, le fait pour tout employeur de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli".
La Cour de cassation poursuit son raisonnement en précisant que l'employeur qui fait travailler un membre de sa famille, de façon durable et permanente, bien au-delà des horaires déterminés dans le contrat de travail est coupable de travail dissimulé.
Peu importe que le membre de la famille n’ait pas été rémunéré pour ce temps de travail supplémentaire, la Cour considère que le versement de cotisations sociales s’impose.
>> La règle à retenir : le statut de salarié titulaire d’un contrat de travail exclut la possibilité de poursuivre, au titre de l’entraide familiale et sans que soient établies les déclarations correspondantes aux organismes sociaux, la même activité au-delà des heures contractuellement dues, fût-ce de façon bénévole.
En pratique, la fille, le frère ou le conjoint de l’artisan détenteur d’un contrat de travail ne peut pas effectuer des heures au-delà de son contrat au titre de l’entraide.
A la veille des congés d’été, cet arrêt tombe comme une piqûre de rappel des règles applicables en matière d’entraide familiale et de travail dissimulé.
Les règles juridiques de l’entraide familiale
Rappelons que l’entraide familiale est strictement encadrée.
Seuls les parents du premier degré peuvent en bénéficier : donc des père/mère, fils/fille, frère/sœur. La jurisprudence a toutefois étendu la notion aux neveux et nièces.
Pour les conjoints, c’est la loi du 2 août 2005 qui pose les consignes. Elle impose que le conjoint ait opté pour l’un des trois statuts suivants : conjoint collaborateur, conjoint associé ou conjoint salarié.
Il ne peut donc utiliser la notion d’entraide familiale que si l’aide est apportée après avoir opté pour l’un de ces statuts.
>> Signalons tout de même que la reconnaissance de l’entraide familiale est plus facilement admise entre époux, notamment au titre du devoir d’assistance et de secours, ou au titre de la contribution aux charges du mariage (articles 212 et suivants du Code civil).
Travail dissimulé : des sanctions lourdes
Le chef d’entreprise artisanale qui souhaite se prévaloir de l’entraide doit donc veiller au respect de ces règles sous peine d’être reconnu coupable de travail dissimulé.
En pratique cette requalification est le plus souvent la conséquence d’un contrôle Urssaf, comme dans l’arrêt évoqué, ou l’œuvre de la personne aidante qui souhaite obtenir une reconnaissance salariée.
Le chef d’entreprise encourt alors plusieurs sanctions :
- pénales tout d’abord : il est passible de 3 ans de prison et de 45.000€ d’amende (article L. 8224_1 du Code du travail) ;
- administratives ensuite : il risque notamment jusqu’à la fermeture administrative provisoire de son entreprise ;
- et pécuniaires enfin : avec une régularisation du paiement des cotisations et contributions sociales
C’est donc à tout un panel de mesures préventives que le chef d’entreprise artisanale doit penser avant de se faire aider.
Mariage, pacs ou concubinage, statut de son conjoint au sein de l’entreprise… Il est primordial de choisir celui qui s’adapte au mieux à son implication dans l’entreprise, et qui le couvrira en cas d’accident de la vie et à l’heure de la retraite…
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