Carole Delga : "Notre pays souffre du manque d’écoute"
Aujourd'hui présidente de Régions de France, vous avez été secrétaire d'État déléguée au Commerce et à l’Artisanat sous François Hollande. Quelle empreinte gardez-vous de cette expérience ministérielle ? De quelle manière influe-t-elle aujourd’hui sur votre travail ?
L’expérience de ministre a été riche en enseignements. Issue d’un milieu populaire, je n’ai pas fréquenté les grandes écoles parisiennes, donc j’ai découvert tout un univers au sein du ministère.
Cela m’a permis de mieux comprendre comment fonctionnait notre État, sa gouvernance. Et surtout, j’y ai confirmé toute la force du travail collectif avec les chambres consulaires, les associations de professionnels, de consommateurs, pour prendre la juste décision.
Aujourd’hui encore, c’est une méthode que j’applique quotidiennement : écouter les acteurs, rassembler toutes les forces vives autour d’un projet, et agir. Malheureusement, aujourd’hui, notre pays souffre du manque d’écoute...
L’expérience de ministre déléguée au Commerce et à l’Artisanat a été exceptionnelle. J’ai beaucoup travaillé sur les métiers de bouche, avec la refonte du label "Fait maison" pour les restaurateurs, le statut d’artisan cuisinier et celui de crémiers-fromagers, la promotion de la gastronomie en France et à l’étranger… J’ai également œuvré sur la filière de l’habillement, ainsi qu’auprès des commerçants.
J’ai vraiment eu un coup de cœur pour l’artisanat, ces hommes et ces femmes qui se dévouent pour offrir des produits et objets d’une grande qualité. C’est une cause que je défends encore aujourd’hui avec ardeur en Occitanie.
Tant à l’échelle du bourg qu’à celle de la métropole, l’Artisanat n’a plus à prouver son rôle de pilier économique, de ciment social et de pourvoyeur d’emplois et de vocations. De quelle manière les Régions agissent-elles en faveur de la redynamisation des zones les plus économiquement fragiles ?
Avec 3 millions d’artisans en France, l’artisanat est un formidable levier économique et, vous avez raison, également un levier social.
"Ce sont nos artisans qui forment nos jeunes et qui transforment notre quotidien. Je suis profondément attachée à cette part de notre activité économique, sociale et culturelle."
En Occitanie, je soutiens leur activité dans la difficulté, en mobilisant les moyens nécessaires dans les périodes les plus dures. Nous avons accompagnés nombre d’entre eux durant le Covid, par exemple, mais également lors de la crise énergétique où je suis montée au créneau pour que les boulangers notamment puissent bénéficier de boucliers tarifaires.
Je poursuis également sur mon territoire une véritable promotion du "Fabriqué en Occitanie", pour permettre aux artisans occitans de vendre leurs produits localement.
Enfin, nous soutenons les projets des filières du textile, tel que le jean avec l’entreprise Tuffery implantée en Lozère qui produit tout localement, où avec la relance de la filière laine et cuir. Ce sont des activités qui revitalisent nos territoires ruraux.
"On ne peut pas promouvoir la transition climatique et les circuits courts, sans donner un véritable coup de pouce à nos artisans français. Cela implique de soutenir leur activité, leur permettre de créer un écosystème adapté à leur projet, et en faire la promotion pour qu’ils puissent toucher les consommateurs."
Les chambres consulaires sont très inquiètes quant à l’avenir du financement de l’apprentissage. Cette année, le gouvernement a en effet amputé par deux fois les fonds alloués aux formations qui en ont le plus besoin. Quelle est votre position à ce sujet ?
Nous partageons pleinement les craintes des chambres consulaires sur l’avenir du financement de l’apprentissage et j’aurai l’occasion de m’en entretenir le 16 janvier prochain avec le président de CMA France, Joël Fourny.
Comme vous le savez, depuis 2020, les Régions n’ont plus qu’une compétence résiduelle sur l’apprentissage, avec les moyens très limités que leur verse France Compétences pour financer les CFA : 180 millions d'euros par an au titre de l’investissement et 138 millions d'euros pour le fonctionnement.
Mais nous ferons des propositions dans le cadre de la concertation ouverte par le gouvernement pour sauver les CFA menacés de fermeture du fait de la baisse des niveaux de prise en charge. Nous le disions en 2017-2018 : la réforme de l’apprentissage ne bénéficie pas à ceux qui ont le plus de difficultés à s’insérer, et particulièrement aux formations de niveau 3 (CAP), qui sont la porte d’entrée vers l’emploi.
Nous avions raison trop tôt... Raison de plus pour nous écouter aujourd’hui !
Le 4 décembre, Régions de France a alerté au sujet de l’abandon de la territorialisation du programme Erasmus. Qu’en est-il ? Gabriel Attal a-t-il entendu vos préoccupations, y aura-t-il bien des bureaux en région ?
Sans concertation préalable, les Régions ont été informées début décembre de la décision de la direction de l’Agence Erasmus+ France Education & Formation d’abandonner le projet de territorialisation de la promotion du programme phare de mobilité des jeunes.
Après une année 2022 dédiée à la Jeunesse européenne et à quelques mois des élections européennes, cette décision constitue un signal préoccupant pour l’ambition de la France de rapprocher l’Europe des citoyens et de tous les territoires !
On ne peut pas d’un côté augmenter le budget d’Erasmus+ de 80% pour 2021-2027, et ne pas clarifier sa mise en œuvre, notamment dans les territoires ruraux.
Ce déploiement de bureaux chargés de faire la promotion du programme et visant à renforcer l’égalité entre les publics et les territoires est une priorité.
"Le programme Erasmus est une richesse pour notre jeunesse, nous ne pouvons pas le réserver au seul public initié."
D’autre part, c’est un engagement pris par l’Agence Erasmus+ France Education & Formation à l’égard des Régions de France, le 18 mai 2022. J’ai demandé à Gabriel Attal d’assurer le respect des engagements du gouvernement.
"Quand le partage des compétences se fait entre une vingtaine de collectivités, ce n’est plus un ‘millefeuille territorial’, mais plutôt un ‘crumble’". Ces mots de Yaël Braun-Pivet résument bien l’éparpillement décisionnel auquel font face les Régions… Dans les grandes lignes, quelles améliorations peuvent-elles être apportées pour simplifier et clarifier les prérogatives des Régions ?
Davantage que du "millefeuille" ou du "crumble" territorial, on devrait parler d’un enchevêtrement administratif des compétences qui entrave le pouvoir d’agir et les libertés locales.
Les autres pays d’Europe ne comptent pas moins d’échelons de collectivités qu’en France : région, départements, communes. En revanche, la répartition des compétences, tout particulièrement entre l’Etat et les collectivités, est beaucoup plus nette et surtout plus claire.
Les Régions sont l’échelon d’action publique, disposant de la capacité d’entraînement, d’investissement et d’ingénierie, dont l’Etat a besoin pour accroître son impact. Les Régions sont le premier partenaire public pour la réussite des transitions écologique, économique et sociale.
Les autres pays d’Europe l’ont bien compris, l’action des Régions est le relais le plus puissant du développement de l’économie et du territoire. Nous sommes en mesure de fédérer largement et nous avons le crédit auprès de nos partenaires, pour être le bon interlocuteur.
Plus que de moyens nouveaux ou de compétences nouvelles, l’enjeu est de pouvoir pleinement exercer les compétences régionales pour agir avec davantage d’efficacité. C’est ce que nous appelons l’autonomie d’action : lutter contre les enchevêtrements de compétences, supprimer les redondances, aller au bout des transferts dans une approche par politique publique et non par dispositif et, à la fin, renforcer l’État en même temps que les Régions dans leur pouvoir d’agir.
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