L'art et la manière
Lise Richardot, doreuse à la feuille
Patience, minutie et curiosité...
« Par la façon de travailler, je peux dire que j’exerce un art. Cependant, je ne me considère pas comme une artiste : je suis artisan, je perpétue un savoir-faire. »
L’art délicat de la dorure traverse les modes, les époques, les continents : présent dans les chambres funéraires des pyramides de l’Égypte antique, très prisé aujourd’hui des monarchies du Moyen-Orient, il continue en France d’être pratiqué par environ 200 artisans, qui travaillent dans leurs ateliers ou se déplacent sur les chantiers, comme c’est le cas actuellement de Lise Richardot ; la fondatrice de l’atelier Acanthe a quitté pour plusieurs semaines son repaire de Mézangers (Mayenne) pour une mission tenue secrète en Arabie Saoudite.
Fascinée par « le fait de sublimer un objet ou un lieu avec une feuille aussi légère et délicate », Lise Richardot exerce « un métier qui demande de la patience, de la minutie et de la rigueur ». Mais, ajoute-t-elle, « il faut aussi et avant tout être curieux : je ne me verrais pas restaurer un objet sans connaître son histoire. » À son curriculum vitae, figurent notamment la chambre de la reine au château de Versailles, plusieurs hôtels particuliers de Paris (de Soyecourt, Lambert…) ou le mémorial américain de Marnes-la-Coquette, « en perpétuant un savoir-faire » ancestral. « La manière de tenir mes outils, raconte-t-elle, de prendre la feuille d’or, de la déposer et de la faire briller : on m’a déjà dit que je ressemblais à un tableau quand je travaille. »
Gérard Haligon, reproducteur statuaire
Savoir ne pas s’imposer
« Je suis un technicien, ce qui ne m’empêche pas d’être fier de ma technique. Mais j’interviens sur des œuvres qui, sans l’artiste, n’existeraient pas, puisque je n’aurais pas pu les créer… »
Artisan spécialisé dans la reproduction de statue installé à Mandres-les-Roses (Val-de-Marne), Gérard Haligon est le restaurateur officiel des œuvres de Niki de Saint-Phalle, dont les célèbres Nanas de la plasticienne décédée en 2002.
Par son travail, il perpétue une tradition familiale qui remonte au XIXe siècle et à Louis, son arrière-grand-père, contemporain de Rodin. Pourtant, avant de rejoindre son père à 17 ans, c’est à la pâtisserie que Gérard Haligon se destinait. « Les similitudes sont nombreuses », admet-il : « On mélange des produits, on compose des couleurs, des textures, et même le matériel est commun : j’utilise des spatules, des culs de poule, une maryse, un batteur, des poches à douille… »
Passer de la création de l’œuvre imaginée par un artiste à sa reproduction nécessite bien sûr de la maîtrise technique mais, aussi, quelque chose relevant davantage de l’intellect : « Chaque artiste est différent, il n’y a pas de code, mais un point commun : il faut savoir ne pas s’imposer, et s’adapter à l’artiste, qui est roi ! Alors, en partageant sa réflexion avec vous, c’est comme si l’artiste vous dévoilait un secret professionnel. » Jusqu’à ressentir quelque chose s’approchant de l’appropriation de son œuvre ?
« Non, répond Gérard Haligon, aussi bizarre que cela puisse paraître et même si l’on se donne beaucoup de mal pour arriver à satisfaire la volonté de l’artiste. Mais quand je revois le Voyage de la Sirène de Federica Matta ou la Fontaine Stravinsky à Beaubourg, je n’ai aucun sentiment de propriété, même si j’ai participé à leur réalisation. Mon rôle est purement technique et non créatif, mais je dois me montrer attentif à la dimension artistique pour comprendre et respecter l’œuvre. »
Marine Beylot, restauratrice d'oeuvres de peinture
Un plaisir varié
« Mon geste comprend une dimension artistique, mais mon intervention exclut toute expression créative : il vaut même mieux ne pas être créatif. Ou bien si, juste dans un domaine : la recherche des techniques ! »
Au lycée, à l’orée des années 2000, sa professeure d’histoire de l’art détecte, chez Marine Beylot, « une certaine aptitude à la patience », en plus d’un vif attrait pour la peinture. Elle lui conseille de s’intéresser au travail de restauration – ce qui lui vaudra une proposition d’orientation vers une école hôtelière, avant que la confusion ne soit levée… Marine quitte la Corrèze de sa prime jeunesse pour Paris et l’école de Condé d’où elle ressort avec une licence de restauration d’œuvres d’art et de peinture de chevalet.
Depuis, elle a « traité » (c’est le verbe qu’elle emploie) plusieurs Dufy, des Poliakoff, un très grand Watteau (3 mètres sur 3) pour différents collectionneurs ou encore, avec un collègue, un tableau de Buffet représentant l’épouse du peintre, modèle pour Balenciaga représentée dans une longue robe rose ! « Littéraire à la base, j’ai dû redoubler de travail pour comprendre les interactions de nos matériaux sur les objets à restaurer. C’est, décrit-elle, une activité manuelle demandant une réflexion profonde avant l’action. Bref, un plaisir varié. »
« Les techniques évoluant perpétuellement », Marine Beylot suit des formations, mène par exemple des recherches sur la toxicité des produits utilisés car, souligne-t-elle, « nous sommes exposés. » Et elle enseigne son métier au sein d’une école parisienne : « L’artisanat d’art implique une transmission. Pour qu’un savoir-faire ne disparaisse pas, il ne faut pas le garder pour soi mais le partager. »
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