Le programme de Benoît Hamon
Le Monde des Artisans : En termes de fiscalité, quels dispositifs incitatifs entendez-vous mettre en place pour favoriser l’installation de TPE et PME artisanales et ainsi maintenir l’emploi en France, sur tout le territoire ?
Benoît Hamon : Pour une économie renforcée face à la mondialisation, j’accorderai la priorité au made in France. 50% des marchés publics seront réservés aux petites et moyennes entreprises (PME-PMI-TPE), j’introduirai des clauses d’emploi et de "produire local", les entreprises qui délocalisent devront rembourser les aides publiques reçues. Je m’opposerai aux traités de libre-échange (CETA et TAFTA) qui menacent nos préférences collectives. J’exclurai les services publics et l’agriculture du champ des négociations commerciales. Pour aider nos PME à se développer, je faciliterai leur accès aux financements à tous les stades de leur croissance. La Banque Publique d’Investissement (BPI) interviendra en garantie comme en prêteur lorsque les banques seront réticentes à accompagner les projets. Enfin, je créerai une monnaie alternative inter-entreprises qui leur permettra de s’échanger des services sans mobiliser leur trésorerie.
LMA : Estimez-vous que le RSI doit être réformé ? Si oui, de quelle manière et selon quel calendrier ?
B.H. : Il faut garantir aux indépendants une protection sociale équivalente. Je créerai un statut unique pour tous les actifs afin de dépasser la distinction entre salariat et travail indépendant. Je rendrai ce statut plus protecteur selon le degré de vulnérabilité des actifs, à partir du socle commun du droit du travail et de la protection sociale. J'améliorerai la couverture retraite complémentaire et la couverture accident du travail/maladie professionnelle des indépendants. J'équilibrerai les prélèvements sociaux afin qu’à revenus égaux, un indépendant et un salarié cotisent du même montant.
LMA : Considérées comme des "voies de garage", les filières d’apprentissages souffrent d’une mauvaise image. Pourtant, elles recèlent de talents et leur taux d’employabilité est élevé, à l’inverse de nombre de filières universitaires. Si vous êtes élu, que ferez-vous pour valoriser ces filières et faire évoluer les mentalités ?
B.H. : Je veux tout miser sur la qualité de l’apprentissage et y mettre les moyens. L’entreprise a besoin de jeunes motivés, capables de s’intégrer dans le monde professionnel et d’adopter vis-à-vis de leur travail l’attitude de sérieux et de dynamisme indispensable à toute activité économique. L’apprentissage répond à ces exigences. Mais l’apprentissage, c’est aussi une chance pour les jeunes : 7 jeunes sur 10 trouvent un emploi dans les quelques mois qui suivent leur formation en apprentissage. Au collège, les jeunes ne sont pas orientés vers l’apprentissage. Dans les CIO, ils sont même souvent dissuadés de s’orienter vers l’apprentissage. Dans les premiers niveaux de qualification, pour préparer un même diplôme, ceux qui ont le moins de réseaux et de connaissance du système, ceux qui vivent dans les quartiers populaires sont plus nombreux dans les lycées professionnels que dans les Centres de formation d’apprentis (CFA) alors que cette voie de formation permet une meilleure insertion professionnelle. Je travaillerai à ce que, dans le cadre du service public régional de l’orientation, l’ensemble des partenaires sociaux, tous les services en charge de l’orientation comme les Missions Locales, Pôle Emploi mais surtout les services de l’Education nationale présentent bien l’apprentissage comme une voie de réussite. Il est aussi crucial de rapprocher le monde de l’enseignement secondaire du monde de l’entreprise en faisant directement connaître ce dernier aux enseignants. C’est efficace : quand 10% des professeurs d’un établissement ont fait un stage en entreprise, le nombre d’élèves orientés vers l’enseignement professionnel et l’apprentissage augmente, dans les années suivantes, de 10 à 20%. La prime aux employeurs d’apprentis existe mais elle n’est pas l’élément qui permet de convaincre un employeur de recruter un apprenti. Aujourd’hui, 20% des contrats d’apprentissage sont rompus : les employeurs craignent donc d’engager un apprenti dont ils devront se séparer prématurément. La démarche qualité expérimentée en Île-de-France et largement reconnue par tous les acteurs impliqués a fait passer ce taux de rupture à 4,8% pour les 10 000 jeunes concernés chaque année. Nous devons rétablir la confiance entre les entreprises et les jeunes en misant sur la qualité de l’apprentissage et l’accompagnement des apprentis.
LMA : Aujourd’hui, pour exercer la plupart des métiers de l’artisanat, un diplôme est requis, qui valide les compétences et savoir-faire. Or, la Loi Sapin 2 a failli signer la fin de cette obligation de qualification professionnelle, ouvrant la porte à la libéralisation totale de certains métiers. Pensez-vous qu’un coiffeur, un mécanicien ou un boulanger puissent se passer de diplômes ?
Les propositions de déréglementation de certaines professions artisanales ont seulement failli être mises en place et heureusement. La question est de savoir s'il est acceptable que des auto-entrepreneurs et la micro-entreprise concurrencent terriblement l'artisanat et de manière déloyale puisqu'ils n'ont pas les mêmes charges. Emmanuel Macron propose d'étendre largement cette concurrence déloyale en relevant les seuils d'activité. Pour ma part je considère qu'une telle politique aurait pour conséquence de détruire le petit artisanat déjà fortement en difficulté. De plus, il est rassurant pour le particulier ou le consommateur d'avoir une garantie de son prestataire par la certification qu'il a acquise.
LMA : Pour vendre, communiquer, effectuer leurs démarches… Les outils numériques sont devenus indispensables aux entreprises artisanales. Comment les aider à réaliser leur transition numérique, et assurer l’égalité d’accès à Internet sur tout le territoire ?
B.H. : Nous ferons de la France un pays à la pointe sur le numérique, en développant l’accès au très haut débit fixe et mobile sur l’ensemble du territoire. J’assurerai la transition numérique des organisations et l’appropriation des usages numériques par tous (la médiation numérique, le numérique éducatif et la montée en compétences des actifs).
LMA : La multiplication de plateformes de service comme Uber instaure une concurrence déloyale face aux artisans. Nous en voulons pour preuve l’exemple emblématique des VTC. Dans un contexte européen, comment légiférer pour encadrer les prix et les prestations sur Internet ?
B.H. : Il n’y a pas de miracle numérique. Le numérique représente des opportunités certaines, mais a besoin de lois, de règles, car il n’est pas par essence un progrès. Le numérique, c’est un formidable outil, une clef qui peut ouvrir la porte de perspectives positives. Lorsque les libéraux affirment que les jeunes femmes et les jeunes hommes de ce pays n’ont plus à chercher d’emploi mais à chercher des clients, ils les engagent à s’agiter dans tous les sens dans des démarches individuelles précaires. Ces démarches les éloignent chaque jour un peu plus de la stabilité nécessaire aux entreprises collectives qui sont seules sources de progrès social. L’ubérisation, ce n’est rien d’autre que la constitution d’une armée de réserve du néo-libéralisme : des travailleurs atomisés, mal protégés, une main-d’œuvre bon marché. Ce que le politique peut et doit proposer, c’est une boussole qui dirige au-delà de l’optimisme dogmatique du libéralisme à l’égard de l’innovation, du progrès technique, de la croissance. Ce qui doit rester la valeur cardinale, c’est le bien-être des Français, qui passe par leur sécurité économique.
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