Objectif recrutement dans l'artisanat !
Christophe Alfandari, directeur régional Formation de la Chambre de métiers et de l’artisanat de Bourgogne Franche-Comté, résume : "Il y a des tensions sur tous les métiers, sans exception".
Derrière ce constat, des causes variées : métiers qui n’attirent plus, formations qui manquent de moyens ou décalées par rapport à la réalité du métier, davantage de postes que de candidats, métiers méconnus des acteurs de l’orientation…
Plus largement, le chômage a baissé en 2022 et le marché du travail est globalement tendu.
"Tous les secteurs sont en tension et tous développent l’apprentissage. Aujourd’hui, l’artisanat est en concurrence avec l’industrie, les transports, le BTP… Qui se mobilisent pour se montrer attractifs, porter des valeurs et rémunérer correctement", constate Christophe Alfandari.
Plus de choix et… moins de jeunes
"Le nombre de naissances est en chute libre depuis 2014. La baisse démographique augmente la compétition", ajoute Arnaud Muret, directeur général de l’Opco EP (Opérateur de compétences des entreprises de proximité). L’artisanat doit en outre s’extraire d’une gangue d’idées reçues.
Top 3
Pour les chefs d’entreprise, les difficultés de recrutement sont dues :
- au manque de candidats (pour 86 %) ;
- au profil inadéquat des candidats (pour 71 %) ;
- aux conditions de travail (pour 33 %).
Source : Pôle emploi, enquête "Besoins en main d’œuvre" 2022.
Poids du passé, légèreté de la jeunesse
Les filières professionnelles sont souvent considérées comme des voies par défaut ; il semblerait néanmoins que la roue commence – enfin – à tourner. "Le travail fait depuis 2015 et la forte promotion de l’apprentissage ont contribué à faire changer la perception du public", pose Christophe Alfandari.
La France comptait plus de 800.000 apprentis en 2022, un chiffre certes tiré par l’apprentissage post-Bac, mais qui contribue à faire évoluer les mentalités. Ce qui n’est pas chose facile.
"Certains bons élèves ne rêvent que d’aller vers des métiers de l’artisanat, mais il faudra encore du temps pour que leurs parents arrivent à cerner la diversité des possibilités de l’apprentissage", continue celui qui vient de l’industrie, et a vu des jeunes en CAP devenir ingénieurs par la voie de l’apprentissage.
Pour Arnaud Muret, les jeunes sont bien plus ouverts. "L’apprentissage est vécu comme une voie d’émancipation, car ils sont payés ; tous les Salons dédiés à l’orientation parlent de l’alternance, qui n’est plus réservée à l’infra-Bac, et toute la filière qui est revalorisée."
"Nous sommes très présents sur le terrain. Tous les CFA avec lesquels nous travaillons ont un référent physique pour échanger avec eux. À chaque artisan, j’ai envie de rappeler que même s’il n’a pas de salarié, nous sommes là pour l’accompagner lorsqu’il souhaite recruter un apprenti", Arnaud Muret, directeur général de l'Opco-EP
Dans l’artisanat, la demande est forte. "L’appétence des entreprises ne faiblit pas. Pour des secteurs comme ceux de la boucherie ou de la coiffure, on ne satisfait pas la demande", illustre-il.
Près de 176.000 apprentis ont été formés en 2020-2021 par des entreprises artisanales ; un chiffre record depuis 2010, en hausse de 14% par rapport à l’année précédente. Les générations qui arrivent dans l’artisanat ont des exigences qui n’existaient pas il y a quelques années, amplifiées par la crise du Covid.
Pour l’artisan, le travail "c’est sa vie et il ne compte passes heures…", pointe Christophe Alfandari. Pour la génération Z (15 à 25 ans), le travail, c'est 35 heures par semaine.
"La priorité des jeunes est la préservation de leur vie personnelle. Nous observons que des métiers qui ont changé leur organisation du travail redeviennent attractifs."
Dans les secteurs qui recrutent et attirent les jeunes, comme la boulangerie, "on sait qu’il y a des opportunités dans des chaînes ou des grandes surfaces, avec une organisation plus souple du travail, car il y a plus de salariés (rotations, etc.)". Il est plus compliqué pour une TPE de s’adapter.
Intensifier la dynamique vers l’autre
Valoriser les métiers à travers les gestes et les personnes en formation est une mission prise à bras le corps par le secteur. Un parallèle a d’ailleurs pu être établi entre certaines émissions de télévision et l’augmentation du nombre de candidats.
"Pour les mettre en lumière, nous nous investissons dans les concours (Un des meilleurs apprentis de France, les Worldskills, etc.)", mentionne Christophe Alfandari.
Et de saluer tout le travail de promotion, de communication et d’événements qu’orchestre CMA France.
Le rapprochement des jeunes et des métiers est un autre facteur de vocation, un axe que l’artisanat travaille à intensifier.
"Nous avons les stages de 3e, proposons des stages afin de tester un métier via une convention ; ce dispositif trop peu exploité met pourtant les candidats à l’embauche en condition", rappelle Christophe Alfandari.
Pour trouver plus facilement un apprenti, l’artisan doit revoir ses méthodes de recrutement et quasiment oublier le traditionnel CV. "On recrutera sur la personnalité, l’éducation, la capacité à s’intégrer. On est plus dans le savoir-être", conseille Christophe Alfandari.
"Les artisans ne doivent plus avoir d’idées préconçues. Peut-être qu’un individu en fin de carrière leur apportera ce qu’ils cherchent ; il y a aussi de beaux exemples de réussite avec des personnes handicapées."
Les CFA sont à l’écoute du phénomène de reconversion vers l’artisanat, qui surviendrait de plus en plus tôt. "Nous faisons évoluer nos offres pour y répondre."
Synergie des forces
Plusieurs initiatives impliquant divers degrés de l’appareil politique sont menées pour pallier les difficultés de recrutement dans certains secteurs. Présenté début février en Conseil des ministres, le projet de loi sur l’immigration prévoit notamment la création d’un titre de séjour "métier en tension" (carte de séjour d’un an).
Les CFA accueillent et forment aussi des mineurs non accompagnés. "Nous avons de très belles réussites avec des réfugiés mineurs, mais qui, à 18 ans, ne peuvent plus rester sur le territoire. On en arrive à des situations ubuesques où les entreprises sont très satisfaites d’un jeune qui ne peut plus rester : un gâchis monumental", témoigne Christophe Alfandari.
Résoudre les tensions de recrutement est avant tout une affaire de dialogue entre acteurs de l’insertion, de l’orientation, Éducation nationale, centres de formation, missions locales, Pôle emploi, etc.
"Le point clé du succès est la qualité relationnelle avec les différentes institutions", insiste Christophe Alfandari.
L’efficacité de la mobilisation des branches a été démontrée dans un rapport de Philippe Dole, de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales), consacré à la résorption des tensions de recrutement ; la synergie des forces a permis de mettre en place des "chartes de développement de l’emploi (…) débouchant sur de premiers résultats encourageants".
Les domaines d’intervention concernent "la promotion de la profession, la préparation des jeunes générations. Mais il s’agit également d’intégrer les jeunes et adultes disponibles pour un emploi (…), de resserrer les liens avec l’école, le service public de l’emploi, d’anticiper et de fluidifier les politiques de formation (…), de développer les apprentissages, de piloter ce processus interactif et l’évaluer".
Les Opco – issus de la réforme de 2018 – participent à cette dynamique. Ils ont d’ores et déjà
accompli un gros travail de simplification. "Avant la réforme, il fallait six mois pour engager un contrat ; aujourd’hui c’est chose faite en 24 heures, explique Arnaud Muret. La contrainte administrative n’est plus un frein pour prendre un apprenti."
Parmi les chantiers de l’Opco EP, il s’agit dorénavant de faire baisser les ruptures de contrat. « Les causes sont multiples, il s’agit de les identifier en nous rapprochant du terrain, conjointement avec les entreprises, les CMA et les CFA. Le changement ne peut être que collectif. Parmi les solutions, je pense aux classes de 3e Prépa- Métiers. »
L’Opco EP amène des compétences et des ressources. En 2023, il va participer au financement de 581 projets, à hauteur d’un peu plus de 14 M€, visant à investir dans des équipements digitaux et pour du matériel professionnel (238 CFA).
Ces investissements participent à la création de 42 nouvelles sections de formation sur des territoires qui en étaient dépourvus.
"La transition écologique/énergétique amène à repenser les métiers différemment, précise encore Arnaud Muret. Il nous faut accompagner ce changement, qui impacte les modalités de la formation."
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