Assemblée nationale

Après la dissolution, quelle marge de manœuvre pour l'U2P et la CPME ?

Le 26/07/2024
par Sophie de Courtivron
Malgré l’été et les Jeux olympiques, le contexte de rentrée reste opaque, marqué par un pays divisé et des tentatives d’alliances bancales... Tentons de discerner quelle sera la marge de manœuvre des organisations patronales pour faire passer leurs messages.
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La dissolution décidée par le président Emmanuel Macron en juin est pour le politiste et chercheur Alain Garrigou, un "contre-sens énorme", à moins que l’objectif "ait été de se suicider…"

Pour le spécialiste, l’Élysée n’a pas su – peut-être par manque de culture – regarder et analyser le passé : "Les élections qui ont lieu entre deux élections décisives, comme les présidentielles, sont toujours défavorables au pouvoir en place. Il fallait s’attendre à ce que les Européennes ne soient pas bonnes ; dissoudre ensuite, c’est reprendre une gorgée d’huile de ricin !" 

Les représentants de l’U2P et de la CPME sont consternés. "Si le but était de donner une stabilité politique au pays, c’est raté", déplore Jean-Eudes du Mesnil, secrétaire général de la CPME. Nous voilà avec une Assemblée nationale aux clivages encore plus marqués, et donc avec une circulation législative potentiellement obstruée. Le Premier ministre jouera une partition compliquée. C’est "la pire des positions, à la limite de l’absurde...", remarque Alain Garrigou. Le tout sous un ciel plutôt noir.

Horizon bouché

"Gouverner c’est prévoir", dit l’adage. "Nous sommes dans l’incertitude, et le monde de l’économie déteste l’incertitude", pose le politiste.

Rappelons que la situation économique de la France n’est pas fameuse. "Plus de 3.000 milliards d’euros de dette, un déficit budgétaire public qui représente 5,5% du PIB (le dernier budget équilibré datant de 1974)... Tout cela est très préoccupant", s’alarme Michel Picon, président de l’U2P.

À tel point que Jean-Eudes du Mesnil anticipe un logique "tournant de la rigueur qui viendrait du gouvernement, qui se l’imposerait, ou de l’extérieur comme on l’a vu pour la Grèce, avec le FMI qui dicte les mesures à mettre en œuvre." 

Certains points annoncés dans les programmes des législatives – "profondément improvisés" d’après Alain Garrigou – ne vont pas dans le sens du rétablissement de la confiance, qui est indispensable au développement économique.

Citons par exemple l’augmentation du smic à 1.600 € nets (proposition du Nouveau Front Populaire). Selon l’Institut Montaigne, cette augmentation causerait en moyenne la perte de 300.000 emplois, dont au moins 200.000 lors de la première année suivant la hausse.

Le cabinet Asterès, qui a analysé en juin diverses propositions des différents partis, précise que l’accroissement de la productivité du travail est "seule garante de hausses de salaires durables" ; or celle-ci décroche en France depuis 2019.

En plus des menaces de ce type, qui plongent les entreprises dans un attentisme profond "quelle que soit leur taille" note Jean-Eudes du Mesnil, pèse sur les dirigeants la crainte d’un "détricotage" des travaux qui étaient en cours.

Du pain sur la planche

Parmi les sujets arrêtés en plein élan, et qui repartiront donc à zéro dans la navette parlementaire, la loi sur la simplification. "Nous y avons beaucoup travaillé ; elle apporte nombre d’améliorations, même si le chantier n’est pas terminé. Le dispositif prévoit que chaque année connaîtra un nouveau contingent de simplifications. Donc cette loi, il faut l’adopter !", tempête Michel Picon.

De plus, "il faut qu’il y ait, comme prévu, une loi Travail avec des dispositions sur le pouvoir d’achat, qui est prioritaire pour les Français." 

Ce "projet de loi" devait transposer les accords d’avril dernier, entre l’U2P et quatre syndicats de salariés, établissant notamment une période de reconversion permettant au salarié de suivre un parcours de formation qualifiante et diplômante en alternance et un compte épargne temps universel (CETU). "La gestion de ce CETU serait externalisée car les petites entreprises n’ont pas les moyens de gérer un compte épargne temps comme les grandes, qui ont des services dédiés. Nous aussi avons besoin d’outils attractifs !" 

A contrario, la CPME et le Medef, qui s’opposent au CETU, craignent le retour sur la table de ce sujet. "Une baisse des impôts de production a été engagée ; je ne suis pas certain qu’on aille au bout, poursuit Jean-Eudes du Mesnil. La France reste la championne d’Europe des prélèvements obligatoires. Toute nouvelle dépense ou impôt serait catastrophique pour le monde économique."

Il s’agit aussi, parmi les autres enjeux importants pour les entrepreneurs, de repenser le système de protection sociale, principalement financé sur les revenus du travail ; "est-ce qu’on peut vivre avec une assurance maladie qui perd 10 milliards d’euros chaque année ?", s’interroge Michel Picon.

"Ce n’est plus viable sans augmentation du temps de travail car on ne peut pas indéfiniment augmenter les cotisations sur les entreprises…", ajoute Jean-Eudes du Mesnil. Sachant que la population vieillit…

La retraite, d’ailleurs, reste un sujet brûlant ; "on sait que les cotisations des actifs ne paieront pas les retraites à venir", pointe Michel Picon. "Il faut intégrer la capitalisation dans la réforme, mais qui le fera ?, s’inquiète Jean-Eudes du Mesnil ; droite, gauche…, nous essayons de proposer des solutions pour tous." Des solutions "pour tous" sont-elles imaginables aujourd’hui ?

Hypothèses de travail

Dissoudre à nouveau ne peut pas se faire avant un an. "Il semble que plus personne n’aura de majorité absolue", observe Michel Picon.

Selon lui, "il faut que les partis changent de logiciel et que les gens apprennent à travailler ensemble, qu’ils se mettent d’accord sur des projets en s’inspirant de ce que font les partenaires sociaux : chacun fait des concessions et nous finissons par signer un accord qui ne correspond pas exactement à la copie que nous avions quand les négociations ont commencé."

"Le pays crève des rivalités… Il faut entrer dans l’ère du compromis. Je ne peux pas imaginer une majorité de députés niant qu’on ne peut plus vivre au-dessus de nos moyens…", Michel Picon

Ainsi, qui ne serait pas d’accord pour faire des concessions et avancer sur des sujets comme la sécurité ou la transition écologique ?

Parmi ces "coalitions de projets", "les problèmes pour se loger, qui se conjuguent avec les difficultés du secteur du Bâtiment, pourraient entraîner la mise en place d’un grand plan de la construction, qui relancerait l’économie de nos TPE-PME, en levant le carcan des normes pour construire moins cher et en travaillant sur les charges contraintes d’un ménage." 

En cherchant parmi les situations passées, Alain Garrigou évoque la dissolution de 1988 : Michel Rocard réussit alors à obtenir des majorités ponctuelles sur quelques textes "en allant voir les non-inscrits ; c’était la solution pour avancer".

Michel Picon espère quoi qu’il en soit "que la raison l’emportera sur la passion et que l’on pourra progresser sans force et sans 49.3. Les commerces de proximité sont les premières victimes des mouvements sociaux." 

Alain Garrigou confirme la double pression actuelle "du monde économique et du monde de la rue, très connecté", et violent. Il précise que "tout n’est pas législatif, heureusement". La loi simplification comportait justement plusieurs points réglementaires. Et si le gouvernement commençait par cela ?

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